TABLE DES MATIÈRES
- RAPPORT SUR L’ÉTAT DE LA SOCIÉTÉ CIVILE 2025
- Panorama +
 - Conflit : le droit du plus fort +
 - Démocratie : régression et résilience +
 - Économie : l’ère de la précarité et de l’inégalité +
 - Climat et environnement : sur la mauvaise voie +
 - Technologie : les risques humains face au pouvoir du numérique +
 - Luttes de genre : réactions, résistance et persistance +
 - Droits des migrants : humanité contre hostilité +
 - Nations unies : la gouvernance mondiale en crise +
 - Société civile : la lutte continue +
 - Remerciements +
 - Télécharger le rapport +
 
 
															- L’ONU est confrontée à des crises croissantes qui excèdent sa capacité de réponse, tandis que les États puissants privilégient de plus en plus leurs intérêts nationaux au détriment de la coopération internationale.
 - Le Sommet de l’avenir des Nations unies n’a pas répondu aux attentes de la société civile : sa participation a été limitée et le document final contient beaucoup de lieux communs, mais peu d’engagements concrets.
 - La société civile propose des réformes pour revitaliser l’ONU, notamment la participation en ligne, un envoyé de la société civile et un processus de sélection du secrétaire général plus transparent.
 
Les nombreuses crises mondiales actuelles – conflits, urgence climatique, inégalités économiques, recul démocratique et atteintes aux droits – excèdent les capacités des institutions de gouvernance mondiale conçues pour traiter des problèmes que les États ne peuvent ou ne veulent pas résoudre. Les technologies émergentes, comme l’IA, et les défis qui y sont associés, comme la désinformation, nécessitent de toute urgence de nouvelles solutions mondiales.
Les organes de l’ONU, dont le développement a été amorcé dans l’après-guerre, se révèlent aujourd’hui incapables d’empêcher les atrocités persistantes en matière de droits humains, que ce soit à Gaza, en Ukraine ou au Soudan. La charte fondatrice des Nations unies repose sur quatre principes : la prévention des guerres futures ; la protection des droits humains fondamentaux, de la dignité et de l’égalité ; la création des conditions nécessaires au maintien de la justice en vertu du droit international ; et la promotion du progrès social et l’amélioration des conditions de vie. À l’heure actuelle, il n’y a guère de progrès sur aucun de ces points.
L’ère de la coopération internationale post-guerre froide, qui a donné lieu à des accords mondiaux majeurs visant à résoudre les problèmes contemporains, semble révolue. Il serait aujourd’hui inconcevable de conclure un accord mondial pour prévenir le dépassement des seuils critiques liés au changement climatique, ou que tous les États membres des Nations unies adoptent à l’unanimité les ODD, fortement centrés sur les droits humains et la justice sociale. Et pourtant, ces deux réalisations historiques ont eu lieu en 2015, il y a tout juste dix ans.
Aujourd’hui, de nombreux dirigeants politiques défendent fermement une conception étroite de la souveraineté nationale. Les États puissants privilégient de plus en plus leurs propres intérêts avec une logique transactionnelle, et ce même au sein des institutions internationales. Cette approche sape l’esprit même de la coopération mondiale.
Il en résulte une hypocrisie flagrante, où les États invoquent ou ignorent sélectivement les lois et normes internationales selon leur convenance. Un exemple marquant est la manière dont de nombreux pays du Nord ont activement soutenu les efforts de responsabilisation internationale contre la Russie, tout en bloquant des initiatives similaires visant Israël.
Toutes ces tendances étaient déjà à l’œuvre lorsque Trump est revenu au pouvoir et a immédiatement annoncé le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ainsi que la fin de l’engagement des États-Unis auprès du Conseil des droits de l’homme (CDH) des Nations unies. La crise de la coopération internationale s’est maintenant dramatiquement accélérée.
En ces temps de turbulences et de transformations rapides, l’ONU a eu l’opportunité de se renouveler en 2024 avec son très attendu Sommet de l’avenir, qui a abouti à la publication du Pacte pour l’avenir, du Pacte numérique mondial et d’une Déclaration sur les générations futures.

Fresque « Femme à la colombe – Façonner notre avenir commun » de l’artiste australien Fintan Magee dans les locaux de l’ONU à Vienne, promouvant les ODD et le Sommet de l’avenir. Photo par Eva Manhart/AFP via Getty Images.
L’objectif du sommet était de renforcer la coopération internationale face aux défis majeurs, de combler les lacunes de la gouvernance mondiale, et de réaffirmer la Charte des Nations unies et d’autres engagements mondiaux essentiels. Mais ce qui avait émergé comme une initiative ambitieuse en 2021, lors du lancement par le secrétaire général des Nations unies António Guterres du rapport Notre programme commun visant à revitaliser la coopération internationale et à réformer les Nations unies, a progressivement perdu de son ambition. À mesure que le monde se fragmentait et que les intérêts nationaux s’exprimaient plus ouvertement, l’accent s’est déplacé : il ne s’agissait plus tant d’améliorer le multilatéralisme que de simplement le défendre et de le consolider. Le fait que les États aient dû se mobiliser lors du sommet pour contrecarrer une tentative tardive de la Russie de reporter l’adoption du pacte illustre la difficulté actuelle à atteindre un consensus.
La société civile a travaillé dur pour influencer le pacte durant les deux années de son élaboration, en participant à des consultations en ligne et à une conférence qui s’est tenue à Nairobi, au Kenya, en mai. Cependant, le processus n’a pas été à la hauteur de ses attentes en matière d’ouverture, de participation et d’inclusion. Peu de gouvernements ont consulté directement la société civile, et certains ont même affirmé qu’elle n’avait aucun rôle à jouer dans ce processus.
La société civile a identifié quelques avancées potentielles dans le pacte, notamment des propositions visant à élargir (mais pas à réformer) le Conseil de sécurité, et à accélérer la restructuration de l’architecture financière internationale. Globalement, toutefois, le résultat n’a pas été à la hauteur de l’événement : le texte est décevant, riche en platitudes mais pauvre en mesures concrètes de mise en œuvre. Dans le contexte actuel, un accord plus ambitieux était sans doute hors de portée.
Au moins, à la suite d’une vaste campagne de la société civile, l’Arabie saoudite a été exclue de l’organe principal des Nations unies en matière de droits humains. Le CDH, composé de 47 membres, a pour mission d’examiner les violations des droits humains et autres situations préoccupantes, et de renforcer leur protection et leur promotion. Des élections sont organisées annuellement pour renouveler environ un tiers des membres, qui exercent un mandat de trois ans, limité à deux mandats consécutifs. Les États sont répartis en cinq groupes régionaux, chacun disposant d’un nombre déterminé de sièges chaque année.

Médias en action lors de la 57ᵉ session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies à Genève, en Suisse, le 9 septembre 2024. Photo par Fabrice Coffrini/AFP via Getty Images.
L’Arabie saoudite, dont le bilan en droits humains est désastreux – avec un espace civique fermé, de nombreux prisonniers politiques et un recours effroyable aux exécutions, – a investi massivement pour redorer sa réputation internationale. En 2024, elle a réussi à obtenir la présidence de la Commission de la condition de la femme, faute d’opposition d’un autre État – un résultat aberrant compte tenu du statut de citoyens de seconde zone imposé aux femmes dans ce pays. Mais lors de l’élection du CDH, elle s’est classée sixième et dernière dans une compétition pour cinq sièges dans sa région.
Le problème demeure que plusieurs autres États au bilan tout aussi préoccupant en matière de droits humains ont, eux, obtenu des sièges. En 2024, la RDC, l’Éthiopie et le Qatar ont été élus, portant à 27 le nombre de membres actuels du Conseil soumis à de sérieuses restrictions de l’espace civique – soit plus de la moitié. Seuls six États membres disposent d’un espace civique ouvert. Il est particulièrement scandaleux de constater que neuf des membres actuels du Conseil figurent dans le dernier rapport annuel parmi les pays qui ont exercé des représailles contre des personnes ayant coopéré avec le système onusien de protection des droits humains.
Cette situation s’explique en grande partie par le manque de compétitivité des élections, devenu la norme. Les blocs régionaux ont tendance à proposer autant de candidats qu’il y a de sièges disponibles. Par conséquent, bien que des votes aient encore lieu – permettant parfois un refus symbolique de soutien – la composition du Conseil est largement prédéterminée.
La société civile continue de réclamer des élections réellement compétitives, qui permettraient potentiellement d’écarter les États les plus répréhensibles du Conseil et offrirait une opportunité précieuse de dénoncer les violations des droits humains, tout en exigeant des standards plus élevés. Cela favoriserait un débat plus ouvert sur les performances des États.

L’Arabie saoudite ne parvient pas à obtenir un siège au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, mais ses efforts de RP sont récompensés par l’attribution des droits d’organisation de la Coupe du monde FIFA 2034. Photo par Christophe Viseux/Getty Images pour la Fédération saoudienne de football.
Un autre problème persiste : les droits humains constituent l’un des trois piliers des Nations unies, aux côtés du développement durable et de la paix et la sécurité. Pourtant, ce pilier reçoit systématiquement moins de 5 % du financement annuel de l’ONU. De nombreuses initiatives, y compris les rapporteurs spéciaux de pays confrontés à des situations d’urgence en matière de droits humains, dépendent de financements volontaires. Ces contributions sont généralement lentes à se concrétiser et s’avèrent insuffisantes, compromettant ainsi leur capacité opérationnelle, comme l’illustre le cas de la mission d’établissement des faits pour le Soudan.
Le problème du non-paiement des cotisations s’étend bien au-delà. En février 2025, seuls 65 États avaient versé l’intégralité de leurs contributions. Le pilier des droits humains, déjà sous-financé, peut difficilement supporter cette rétention de ressources – d’autant plus qu’elle émane souvent d’États qui n’hésitent pas à allouer d’importants budgets à leurs dépenses militaires.
Ce sous-financement chronique limite également les perspectives d’amélioration de l’accès de la société civile aux instances onusiennes, et son espace d’expression risque d’être encore plus restreint pour des motifs de réduction des coûts et d’efficacité. Le réexamen du Conseil prévu pour 2026 offre l’opportunité d’aborder ces questions, et l’ONU doit veiller à ce que les voix de la société civile soient entendues dans ce processus.
Aujourd’hui, le retrait sélectif des États-Unis du système international menace d’affaiblir encore plus les Nations unies. Bien que les États-Unis aient parfois fait obstruction, notamment en bloquant les résolutions du Conseil de sécurité sur Israël, les institutions mondiales perdent en légitimité lorsque des États puissants s’en retirent. Si formellement tous les États sont égaux au sein de l’ONU, les décisions des États-Unis de participation ou de retrait revêtent en réalité plus d’importance que la plupart des autres car, en plus d’être une superpuissance, les États-Unis sont le principal contributeur financier des institutions onusiennes – malgré un historique de paiement tardif.
Actuellement, le retrait des États-Unis de l’OMS devrait prendre effet en janvier 2026. Toutefois, cette décision pourrait être contestée sur le plan juridique, car il n’est pas certain que M. Trump ait le pouvoir d’annuler les engagements pris par le Congrès. Il est également possible qu’il revienne sur sa décision si l’OMS apporte des modifications à sa convenance, car la négociation sous pression et la politique du chantage sont des stratégies caractéristiques de son approche. Cependant, en cas de retrait effectif, l’OMS subira un impact considérable. Le gouvernement américain est son principal contributeur, assurant environ 18 % de son financement. Cet écart important sera difficile à combler, et l’organisation pourrait être contrainte de réduire ses activités. Les avancées vers un traité mondial sur les pandémies, en cours de négociation depuis 2021, risquent d’être compromises.
Il est possible que les sources philanthropiques augmentent leur soutien et que d’autres États proposent de combler ce déficit. Le danger réside dans le risque que les États autoritaires profitent de la situation en augmentant leurs contributions tout en attendant, en échange, d’avoir une plus grande influence. La Chine, notamment, pourrait être prête à cela.
Ce scénario s’est déjà produit lorsque la première administration Trump s’est retirée de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). La Chine a comblé ce vide en augmentant ses contributions jusqu’à devenir le plus grand bailleur de fonds annuel de l’UNESCO et, sans doute pas par hasard, un fonctionnaire chinois a été nommé son chef adjoint, 56 sites chinois ont obtenu le statut convoité de patrimoine mondial, et la Chine a pu bloquer toute tentative d’adhésion de Taïwan. Inquiète de cette montée en puissance, l’administration Biden a réintégré les États-Unis à l’UNESCO en 2023. Cette décision pourrait cependant être annulée, Trump ayant affirmé que l’UNESCO est biaisée contre les États-Unis et ordonné un réexamen de la situation.
L’OMS a déjà été accusée d’être trop influencée par la Chine, notamment dans ses décisions prises durant la pandémie. Elle a été critiquée pour avoir repris trop facilement la ligne officielle du gouvernement chinois et pour ne pas avoir mené une enquête approfondie sur les origines de la COVID-19. Par ailleurs, la Chine a réussi à bloquer la participation de Taïwan en tant qu’observateur aux réunions de l’OMS, une décision qui va à l’encontre d’une réalité évidente : les questions de santé publique comme les pandémies ne connaissent pas de frontières. La société civile doit rester vigilante face aux indices d’emprise étatique sur les institutions multilatérales.

Le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, plaide en faveur d’un traité mondial sur les pandémies à la suite de la pandémie de COVID-19. Photo par OJ Koloti/Gallo Images.
Le CDH pourrait être moins immédiatement affecté, puisque les États-Unis n’en sont pas membres actuellement, leur mandat ayant expiré fin 2024. Ils avaient réintégré le Conseil en 2021 après le retrait de Trump en 2018, pour ensuite prendre la rare décision de ne pas chercher un second mandat, probablement pour éviter une controverse liée à leur soutien à Israël. Toutefois, mis à part la question d’Israël, les États-Unis ont été largement reconnus pour leur contribution positive aux travaux du Conseil durant leur mandat sous l’administration Biden. Si leur engagement venait à cesser, cela priverait également les citoyens américains d’une voie de recours essentielle.
Un autre péril réside dans le risque que les actions des États-Unis puissent inspirer d’autres gouvernements extrémistes à suivre la même voie. Le président argentin Milei, fervent admirateur de Trump, l’a déjà imité en annonçant le retrait de son pays de l’OMS. Israël a suivi les États-Unis en refusant de s’engager avec le CDH, tous deux invoquant un supposé parti pris anti-israélien. De son côté, le Nicaragua – dirigé par un régime autoritaire – a également annoncé son retrait du CDH en février 2025, en réaction à un rapport critiquant son effroyable bilan en matière de droits humains.
Un effet domino semble encore improbable, et l’on pourrait argumenter que des institutions comme le CDH et l’UNESCO, qui ont survécu à un premier retrait sous Trump, peuvent en supporter un deuxième. Cependant, cela dépendra de ce qui se passera à l’issue du second mandat de Trump. Ces chocs surviennent également dans un contexte différent, alors que le système des Nations unies apparaît déjà plus fragile et endommagé. Aujourd’hui, l’idée même du multilatéralisme et d’un ordre international fondé sur des règles est contestée, supplantée par l’affirmation intransigeante du pouvoir national. Les négociations en coulisses et les jeux de pouvoir remplacent les processus plus transparents visant à atteindre un consensus. Par conséquent, l’espace d’action de la société civile et ses possibilités d’influence se réduisent.
Revitaliser les Nations unies peut sembler un défi immense en période de crise. Pourtant, la société civile a développé plusieurs propositions concrètes pour placer les personnes plutôt que les États au cœur de l’ONU. L’initiative UNMute Civil Society, soutenue par plus de 300 OSC et de nombreux États, a lancé cinq appels pour promouvoir la participation de la société civile : exploiter les technologies numériques pour élargir la participation et l’inclusion ; réduire la fracture numérique en priorisant la connectivité pour les populations les plus exclues ; adapter les procédures et pratiques pour garantir une interaction et une participation efficaces et significatives à toutes les étapes ; instaurer une journée d’action annuelle de la société civile pour faire le point et évaluer les progrès réalisés en matière de sa participation ; et nommer un envoyé de la société civile pour l’ONU.
Ces cinq propositions sont simples, facilement réalisables, et pourraient ouvrir la voie à des réformes plus ambitieuses. Un envoyé de la société civile pour l’ONU pourrait notamment promouvoir les meilleures pratiques en matière de participation de la société civile dans l’ensemble du système onusien, veiller à ce qu’un éventail diversifié de la société civile soit impliqué dans les travaux des Nations unies, et piloter l’engagement des Nations unies auprès des groupes de la société civile dans le monde entier.
La société civile appelle également à des élections compétitives au CDH avec un rôle actif de la société civile dans l’examen des candidats, et à des restrictions aux droits de veto au Conseil de sécurité. Par ailleurs, la campagne « Nous les peuples », soutenue par plus de 200 OSC et plus de 100 parlementaires à travers le monde, propose la création d’une initiative citoyenne mondiale permettant aux citoyens de rassembler des signatures pour inscrire une question à l’ordre du jour de l’ONU. Une autre proposition de réforme consiste à créer une Assemblée parlementaire des Nations unies, qui viendrait compléter l’Assemblée générale et donnerait la parole aux citoyens ainsi qu’aux États.
Enfin, alors que la désignation d’un nouveau secrétaire général de l’ONU approche, la société civile se mobilise avec la campagne « 1 pour 8 milliards » pour exiger un processus de sélection ouvert, transparent, inclusif et fondé sur le mérite, reflétant les idéaux des Nations unies et permettant une contribution substantielle à la société civile. Le poste ayant toujours été occupé par un homme, l’ONU doit marquer l’histoire en nommant pour la première fois une femme féministe à ce poste clé.
Il ne s’agit là que de petits pas pour rendre le système des Nations unies plus ouvert, plus démocratique et plus redevable. Ces propositions ne relèvent ni de l’utopie ni de l’impossible, et les périodes de crise génèrent souvent des opportunités d’expérimentation. Une ONU plus inclusive sera aussi plus efficace. Il est temps pour les Nations unies d’adopter les idées de la société civile et de collaborer avec elle ainsi qu’avec les États qui les soutiennent. Ce serait l’amorce d’un processus transformateur permettant de faire de la Charte des Nations unies une réalité.